A Flower (1950) | voix et piano fermé | 4′
Child of Tree (1975) | percussionniste utilisant du matériau végétal amplifié | 8′
But What About the Noise of Crumpling Paper… (1985) | trois à dix percussionnistes
Doué pour tous les arts, il songea d’abord à une carrière pianistique ou littéraire, puis hésita entre la peinture (il devait encore exposer une série de lithographies à New York en 1969) et la musique. Il choisit celle-ci sur les conseils de Henry Cowell, son professeur de composition à New York, et poursuivit ses études avec, entre autres, Arnold Schönberg à l’université de Californie du Sud (1934-1937). Une commande de musique de film l’orienta très tôt vers la percussion : il fonda un ensemble de batteurs, organisa des concerts sur la côte ouest des États-Unis et devint accompagnateur de la classe de danse de Bonnie Bird (où se forma Merce Cunningham) à la Cornish School de Seattle (1937-1939). Après avoir enseigné à la School of Design de Chicago (1941-42), il s’établit à New York, commença de collaborer avec Merce Cunningham (il devait devenir directeur musical de sa compagnie, dès sa création, en 1952), et noua d’étroites relations dans le milieu international de la peinture (Max Ernst, Peggy Guggenheim, Mondrian, plus tard Rauschenberg, Jasper Johns et Marcel Duchamp) tout en étudiant particulièrement, en musique, Anton Webern et surtout Erik Satie.
À la fin des années 1940, Cage entreprit son initiation à la philosophie orientale et au zen (avec Daisetz Suzuki). En 1950 débuta sa collaboration avec le pianiste David Tudor. Il lança, en 1952, avec Earle Brown, Christian Wolff et Morton Feldman, le Project of Music for Magnetic Tape (premier groupe américain à produire de la musique pour bande), et de 1948 à 1952, participa aux cours d’été de Black Mountain, où il donna avec la Compagnie Merce Cunningham Theater Piece (1952), probablement le premier happening à s’être jamais déroulé aux États-Unis. En 1954, une tournée en Europe (Donaueschingen lui avait commandé deux œuvres qui allaient devenir deux pièces superposables) le conduisit dans des hauts lieux de la musique contemporaine, comme Cologne, Milan et Paris (où il avait déjà séjourné en 1949 et rencontré Boulez et Schaeffer). Le groupe Cage-Feldman-Tudor-Wolff devait dès lors jouer un rôle déterminant, voire historique, dans la diffusion de l’avant-garde américaine, et Cage lui-même devait devenir sur le plan esthétique, voire philosophique, le point de mire de toute une génération de compositeurs, surtout après les cours (la Musique comme processus) qu’il donna à Darmstadt en 1958 : il dynamisa alors le courant européen de la musique aléatoire terme que lui-même ne devait jamais faire sien inauguré en 1957 par le Klavierstück XI de Stockhausen. Toujours en 1958, il prononça au pavillon français de l’Exposition universelle de Bruxelles sa conférence Indeterminacy (« Indétermination »), et séjourna quatre mois au Studio de phonologie de la R. A. I. à Milan, tandis que le scandale de la première audition du Concerto pour piano et orchestre (œuvre utilisant 84 systèmes de notation différents) consacrait au Town Hall de New York ses vingt-cinq années de création.
Depuis 1966, John Cage a été compositeur en résidence aux universités de l’Illinois, de Californie (Davis), de Cincinnati et à l’université wesleyenne. En 1969, il a été élu au National Institute of Arts and Letters.
Cage est un de ceux à qui l’on doit une nouvelle façon non plus de « penser en musique », mais de « penser la musique ». Il a introduit dans l’art des sons, selon une démarche tout à fait à l’opposé de celle d’un Pierre Boulez, la notion d’indétermination, l’idée de hasard et une conception neuve du silence, écrit pour des sources sonores et des exécutants non spécifiés quant à leur nombre et à leur nature, et récusé la notion traditionnelle d’œuvre musicale. Il commença en utilisant de façon quasi sérielle une échelle de 25 demi-tons (Six Brèves Inventions, Sonate pour 2 voix, Sonate pour clarinette), mais se détourna vite de cette méthode, la recherche d’un substitut à la tonalité défaillante ne l’ayant jamais intéressé en soi. Beaucoup de ses innovations remontent dans leurs principes à la fin des années 1930. Il s’attacha alors aux structures fondées sur le rythme et le temps, et s’interrogea sur la nature des sons écoutés pour eux-mêmes, en dehors de toute culture ou « avant la culture » : d’où First Construction (in Metal) pour percussions (1939), ou encore Living Room Music (1940), ouvrages témoignant d’une nette indifférence envers la « valeur » en soi du matériau sonore, mais reculant comme chez Varèse les frontières de l’art musical. De la même époque datent ses premiers essais de musique électroacoustique avant la lettre : ainsi Imaginary Landscape No 1 pour deux électrophones à vitesse variable, enregistrements de sons sinusoïdaux, piano avec sourdine et cymbales (1939). Dans Imaginary Landscape No 4 (1951), il devait faire appel à 12 radios, 24 exécutants et un chef ; dans Cartridge Music (1960), à des micros de contact mettant en évidence des événements sonores jusqu’alors imperceptibles ou rejetés ; et pour la création de Variations II (1961) + III (1963), à un micro de contact de gorge amplifiant la déglutition d’un verre d’eau.
L’invention la plus célèbre de Cage, celle du piano préparé consistant à loger entre les cordes de l’instrument, ou ailleurs, des corps étrangers destinés à en modifier les sonorités et les propriétés acoustiques, et de façon plus fondamentale à accroître l’imprévisibilité du résultat sonore , date de 1938 (Cage pallia ainsi l’impossibilité dans laquelle il s’était trouvé d’utiliser un orchestre de percussions pour la musique du ballet Bacchanales, qui lui avait été commandée par la danseuse Syvilla Fort) : de cette invention, les Sonates et Interludes (1946-1948), aux remarquables structures rythmiques, puis le Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre (1951), tirèrent le plus large parti. Après cette exploration de l’indétermination au niveau du matériau sonore, Cage l’étendit à l’acte même de composer, par exemple en se servant de diagrammes, de jets de dés ou de pièces de monnaie. À partir de Music of Changes (1951), et jusqu’à Empty Words (1973-1976), il recourut volontiers pour ce faire à la méthode I-Ching, recueil d’oracles de la Chine ancienne permettant d’effectuer des opérations de consultation du sort et ainsi d’éliminer tout critère de choix subjectif tout en préservant dans le « produit fini » une structure, une forme : le hasard intervient ici au niveau de la composition, non de l’exécution.
Ce « hasard » devait prendre chez Cage (y compris et surtout au niveau de l’exécution) d’autres aspects de moins en moins compatibles avec la notion traditionnelle de structure : détermination des notes dans l’espace de la feuille-partition en fonction des imperfections du papier dans Music for Piano (1953-1956) ou dans le Concerto pour piano et orchestre (1957-58) ; calques transparents superposables ad libitum dans les Variations I-IV (1958-1963) et VI (1966) ; examen de cartes astronomiques anciennes dans Atlas Edipticalis (1961) ou dans Études australes (1976). Cette pluralisation des techniques de hasard semble bien être un abandon de toute prétention à la structure, une volonté de court-circuiter à tous les niveaux les aspects intellectuels du choix. Il ne s’agit pas pour autant de privilégier le hasard en soi, ce qui ressortirait encore à la logique, mais plutôt d’une tentative pour se rapprocher de la nature, pour libérer le son, mais aussi le silence. Dans 4’33 » pour n’importe quel(s) instrument(s) [1952], pièce la plus indéterminée et la plus « silencieuse » qui soit, aucun son ne doit être produit, et ce pour montrer que de toute façon il en existe, qui doivent être entendus. Il n’y a pas non-œuvre : c’est l’ambiance qui crée l’œuvre, la seule indication précise étant celle de durée. Le souci de ne pas se couper de la nature apparaît aussi dans le fait qu’à de rares exceptions près, comme Fontana Mix (1958), composé au studio de la R. A. I. à Milan, Cage répugna à utiliser la bande seule : Bird Cage, donné en 1972 dans un espace où les gens étaient libres de bouger et les oiseaux de voler, met en jeu douze bandes magnétiques en superposition avec Monbird de David Tudor, et Lecture on the Weather (1976) est pour douze voix, bande magnétique et film. Dans HPSCHD pour 1 à 7 clavecinistes et 1 à 51 magnétophones, composition à l’ordinateur entreprise avec Lejaren Hiller à l’université de l’Illinois, est généralisée la technique du collage. On a parlé à propos de Cage de néo-dadaïsme, d’anarchisme, de provocation et même d’entreprise de dégradation, alors que s’il nous propose d’oublier les relations que nous trouvions dans l’art auparavant, c’est pour ne plus limiter la musique à une activité cérébrale, abstraite et élitiste. Avec lui, l’œuvre est présentée comme une action il parle d’acteur (performer) plus que de musicien ou d’interprète et le geste comme générateur de sons. La musique est donc théâtre, « un autre mot pour désigner la vie » : en témoigne par exemple une de ses productions les plus récentes, Roaratorio, an Irish Circus on Finnegans Wake (1980). Mieux, sa démarche est un éveil à la fête par la participation que ses œuvres réclament : ainsi 33 1/3 (1969) pour une douzaine d’électrophones et 250 disques que le public doit faire passer, ou Musiccircus (1967, 1970 et 1973), où la déambulation d’une source sonore à l’autre est indispensable. Trente Pièces pour cinq orchestres (1981) est une œuvre dont l’autre titre, À la surface, fait référence à Thoreau. Une de ses dernières œuvres est One Hundred and One pour orchestre (Boston, 1989).
Pour Cage, la musique était un fait social, et il resta profondément persuadé que dans la mesure où dans et par sa musique il contestait par exemple l’hégémonie du chef ou la dictature du compositeur, pour s’attacher au contraire à la créativité de l’interprète, à l’indépendance et à la dignité de chacun (qu’il soit auditeur ou exécutant), ou à l’obligation d’une écoute réciproque avant toute intervention, c’est l’ordre social qu’il remettait en question.
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