Homenaje, Le Tombeau de Claude Debussy (1920) | guitare | 4′
Sept Chansons Populaires Espagnoles (1914) | arrt. / soprano, mandoline, guitare, harpe et cymbalum | 11′
Le développement artistique et humain de Manuel de Falla se trouve entièrement placé sous le signe du renoncement, dicté par une foi catholique exigeante. Mais, loin d’être un tempérament froid et exsangue, ce fut une âme fière et généreuse qui spiritualisa ses impulsions vitales débordantes par une maîtrise et une discipline de fer. Aussi, des rapports particulièrement étroits unissent-ils Falla et son grand prédécesseur du xvie s., Tomas Luis de Victoria. Cependant, à la différence de Victoria, qui n’écrivit que de la musique sacrée, il se considéra toujours comme indigne de composer la moindre page pour le culte, en dépit de quoi une page comme le lento du Concerto pour clavecin, par exemple, doit être considérée comme de la musique religieuse au sens le plus élevé.
L’évolution de Falla se reflète « géographiquement » dans son œuvre : après une période « andalouse » qui vit naître la majorité de ses œuvres les plus célèbres, on trouve en effet, à partir de 1920 environ, une période « castillane » marquée par une sévère concentration, un renoncement à toute sensualité sonore, des sonorités âpres et dépouillées.
Une autocritique impitoyable explique le nombre très restreint des œuvres que nous laisse Falla : à part lui, il n’y a guère, au xxe s., qu’Alban Berg et Paul Dukas à s’être immortalisés avec un bagage numériquement aussi mince. Cependant, ses quelques chefs-d’œuvre ne constituent pas seulement les sommets de toute la musique espagnole, qui a pu transcender, grâce à eux, le succulent nationalisme d’un Albéniz ou d’un Granados pour parvenir à l’universalité ; ils prennent place également au nombre des créations essentielles du premier demi-siècle.
Andalou par son père, Catalan par sa mère (qui fut son premier maître de piano), il étudia la composition au conservatoire de Madrid auprès de Felipe Pedrell (1841-1922), dont l’influence s’avéra décisive. Après des débuts laborieux, marqués par d’obscures besognes alimentaires (les 4 Zarzuelas inédites de 1900-1902), il remporta un premier grand succès avec son opéra la Vie brève, qui se vit attribuer le prix de l’Académie royale des beaux-arts en 1905. Cela lui permit de monter à Paris, où il vécut de 1907 à 1914 une existence difficile, mais passionnante, fréquentant Debussy, Ravel, Dukas et Albéniz. Ce furent des années décisives pour le mûrissement de son art, mais dont la véritable moisson créatrice ne fut récoltée qu’au lendemain de son retour en Espagne. Il vécut à Madrid jusqu’en 1921, puis se retira à Grenade, où il mena une vie de plus en plus érémitique, assombrie par une santé précaire. Le rythme de sa création se ralentit encore : sa dernière œuvre achevée importante, le bref Concerto pour clavecin de 1923-1926, exigea trois années de labeur acharné. Il entreprit ensuite son œuvre la plus vaste et la plus ambitieuse, l’oratorio l’Atlantide , demeuré inachevé au terme de vingt ans d’efforts et complété d’après ses nombreuses esquisses par Ernesto Halffter Escriche (1905-1989) [première audition en 1961]. En 1939, bouleversé par la guerre civile, il émigra en Argentine, où il mourut dans le dénuement.
Comme Bartók et Kodály, comme Sibelius et Vaughan Williams, comme Janáček et Martinů, Gian Francesco Malipiero, Karol Szymanowski, Willem Pijper et Heitor Villa-Lobos, Manuel de Falla est un représentant éminent de la « seconde vague nationaliste » des compositeurs européens, celle qui trouva en l’exemple de Debussy la clef de la libération de l’hégémonie germanique, tout comme la « première vague » (les Russes du groupe des Cinq, Smetana, Grieg, etc.) s’était appuyée sur Liszt. Des traces de wagnérisme, voire de vérisme, persistent dans la Vie brève, mais les œuvres de maîtrise, jusque vers 1918, portent les traces de l’influence féconde des maîtres français : Debussy, puis Ravel. Falla demeure ibérique jusqu’à la moelle par son ardeur sombre, sa sécheresse acérée, son mélange inimitable d’âpreté et de langueur. Sa démarche à partir du Tricorne s’inscrit librement dans le grand mouvement du néo-classicisme de l’après-guerre, et l’influence de Stravinski y devient sensible. À l’andalousisme envoûtant et « nocturne » des Nuits dans les jardins d’Espagne et à la « gitanerie » de l’Amour sorcier succède l’éclat « diurne » plus dur du Tricorne et de la Fantasia betica pour piano, menant à l’ascèse castillane dont les deux plus hauts chefs-d’œuvre de l’auteur, l’opéra de chambre le Retable de Maître Pierre (d’après un épisode de Don Quichotte) et le Concerto pour clavecin, constituent le témoignage essentiel. Signalons que ces deux partitions furent les premières de la musique européenne qui marquèrent la résurrection du clavecin. Des scrupules religieux et artistiques sans cesse croissants, au point de devenir d’indéniables complexes, empêchèrent l’achèvement de l’Atlantide, qui eût dû couronner sa carrière. Mais l’examen des fragments achevés est indispensable à la connaissance complète de la personnalité artistique de Falla, à laquelle ils ajoutent une dimension toute nouvelle de grandeur monumentale et d’ardente religiosité : les grands chœurs polyphoniques renouent avec les traditions glorieuses du Siglo de Oro.
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