« Or, les Sirènes possèdent une arme plus terrible encore que leur chant, et c’est leur silence. Il est peut-être concevable, quoique cela ne soit pas arrivé, que quelqu’un ait pu échapper à leur chant, mais sûrement pas à leur silence. Au sentiment de les avoir vaincues par sa propre force et à l’orgueil violent qui en résulte, rien de terrestre ne saurait résister.
Et de fait, quand Ulysse arriva, les puissantes Sirènes cessèrent de chanter, soit qu’elles crussent que le silence seul pouvait encore venir à bout d’un pareil adversaire, soit que la vue de la félicité peinte sur le visage d’Ulysse leur fît oublier tous leurs chants.
Mais Ulysse, si l’on peut s’exprimer ainsi, n’entendit pas leur silence ; il crut qu’elles chantaient et que lui seul était préservé de les entendre ; il vit d’abord distraitement la courbe de leur cou, leur souffle profond, leurs yeux pleins de larmes, leur bouche entrouverte, mais il crut que tout cela faisait partie des airs qui se perdaient autour de lui. Mais bientôt tout glissa devant son regard fixé au loin ; les Sirènes disparurent littéralement devant sa fermeté et c’est précisément lorsqu’il fut le plus près d’elles qu’il ignora leur existence. »
L’entre-parenthèses du titre de la pièce fait allusion – mais il ne s’agit pas d’une référence littérale – au récit de Franz Kafka « Le Silence des sirènes ». En réalité le récit de Kafka ne veut pas tellement raconter une histoire alternative (qui dirait que les sirènes ne chantèrent pas) mais plutôt suggérer un paradoxe, insinuer un doute de perspective. C’est plutôt à cela – à une possible perspective paradoxale – que le titre fait allusion. Il s’agit d’une forme articulée en cinq « chansons » instrumentales. Qu’est-ce qui reste du chant, de la conduite et de l’expression vocales, quand personne ne chante ? : c’est un peu cela le paradoxe qui est exploré.
Formellement je continue le travail sur l’articulation en moments qui ne sont pas pour autant des « mouvements »: donc une forme elliptique, mais unitaire qui met en jeu la mémoire et les attentes pour créer la permanence à travers la discontinuité.
Francesca Verunelli