L’intitulé Miègjorn (la Meije en ancien Provençal) implique la montagne ardente indiquant le midi, le soleil au zénith. Il n’est pas étonnant que cette pierre saillante soit perpétuellement en filigrane dans la musique d’Olivier Messiaen. Véritable manifeste qui avait fait scandale, les « Trois Petites Liturgies de la Présence Divine » étaient une fleur écarlate plantée dans le goudron d’un monde assombri par les conflits et les divergences d’intérêt. L’image en exergue de la partition de la « Messe de la Pentecôte » donne une vue sur la Meije à partir des Terrasses, lieu privilégié d’Olivier Messiaen.
Dans ma proposition de nombreuses données liées à la personnalité d’Oliver Messiaen se croisent, se succèdent et se superposent dans l’espoir de susciter un bouillon vital du formidable engagement de ce compositeur. Les référents liturgiques sont axés autour de l’Apocalypse de St Jean, l’Ascension, la Pentecôte, points cruciaux dans les références chez Olivier Messiaen lui-même. « Chronochromie », une des très grandes œuvres du XXème siècle à mon sens, est une des sources importantes, aussi, dans ma proposition. Le jeu des couleurs, les permutations de durée, les polyphonies en strates sont en regard avec la mise en aplat (voix détimbrée) de 12 chants d’oiseaux, en relation directe, donc, avec le radicalisme de la démarche dans « Epôde ». L’Apocalypse et l’Ascension sont de manière synthétique les deux référents principaux opposables négociés durant cette trajectoire. Au-delà des liens avec la liturgie, la Grèce et l’Asie (Japon, Indonésie, Inde) sont très présentes, en liaison avec les traitements rythmiques, de timbre ou phonétiques.
Comme un aéronef qui s’approche d’une planète attractive sans devoir s’écraser sur elle, il est certainement toujours très délicat d’engager une écriture qui souhaite approcher une lecture de l’imposante personnalité d’Olivier Messiaen. Il n’est donc pas question, pour moi, d’accrocher directement ma propre écriture aux modes d’écriture d’Olivier Messiaen, mais bien plutôt d’essayer de les réinterpréter dans ce qui me semble être leur essence et leur permanence. Mon séjour dans sa classe au Conservatoire de Paris m’a permis de découvrir, en ce professeur, l’ouverture d’une pensée sans aucun prosélytisme (ni religieux, ni esthétique). Des personnalités aussi différentes que Boulez, Xenakis ou Stockhausen ont pu survivre dans sa classe (et même Messiaen lui-même, a pu survivre avec de tels élèves ! et je tiens ses « Modes de Valeur et d’Intensité » comme étant un geste d’humeur et d’humour face aux harcèlements de la multinationale sérielle particulièrement oppressante dans son environnement à l’époque). Je ne suis pas particulièrement fidélisé au rituel catholique ni forcément en adhésion avec toute la production musicale de Messiaen, mais au fur et à mesure de l’avancement des temps d’aujourd’hui, je me rends compte de l’immensité de ce «Roc de joie » pourtant bien conscient, à son époque, des érosions politiques et philosophiques issues des guerres et d’un matérialisme agressif et toujours plus agressif aujourd’hui.
Miègjorn est l’apogée lumineux d’une montagne des Alpes ensoleillées à la limite de la Provence, on peut comprendre l’attachement de cet homme à ce lieu ascensionnel et intransigeant dans sa minéralité saillante. L’actualité de Messiaen n’est pas forcément, en 2008, qu’une mémoire pour son centième anniversaire comme le serait une borne kilométrique sur la route de la culture officialisée. Son actualité est plutôt dans l’antidote proposée à la morosité des absences de foi et de dimension spirituelle. L’actuel mot d’ordre : « travailler plus pour gagner plus », n’est certainement pas porteur d’un enthousiasme particulièrement édifiant, et même si l’on peut avoir conscience de la férocité de misères très concrètes, il semble que les aspirations humaines ne peuvent se limiter aux seules dimensions suggérées par ce mot d’ordre. La philosophie politique est certes liée aux contingences économiques parfois gravement incontournables, mais il est encore plus inquiétant de la voir s’enfoncer dans un gouffre sans rêves, sans pensées et sans utopies comme une ligne baroque sans ornement. La « crise de la musique contemporaine » ? Des décades durant c’était le thème varié à perte de conscience. Pourrait-on suggérer de refuser autoritairement l’état de crise ? (Ou du moins soulever la question «la crise par rapport à quoi ? L’état de crise peut être en soi une vraie culture de l’impuissance). Il serait certainement possible de ressusciter en soi d’insoupçonnables énergies et consciences de l’environnement et espérer pouvoir répondre en bonne pertinence dans le provisoire de la situation. La création est à réinventer chaque jour, c’est en ce sens que comme tout mouvement biologique, la musique contemporaine est morte tant qu’on la nommera, mais le processus du mouvement contemporain de la musique, celui-ci est bien vivant car lié à la réponse ou à la question) à donner à chaque mouvement de l’instant de l’aujourd’hui dans toute la dimension humaine et sociale. C’est en ce sens que Messiaen (et d’autres que la culture cultivée imposera en leur temps) se place en force au-dessus des anniversaires consentis par cette culture fixée et imposée comme une pierre de corail rarement, comme une pollution souvent. Me ressourcer auprès de ce « Roc de Joie » n’est certainement pas la pire des initiatives…
François Rossé