genre :

Instrumental

durée :

19 minutes

année :

1974

effectif :

Ensemble instrumental [8-9 musiciens] et bande : flûte (aussi piccolo), clarinette (sib et basse), 1 ou 2 percussionniste(s), piano, violon, alto, violoncelle, contrebasse et sons fixés sur support

création(s) :

Le 28 février 1974 | Sudwestfunk | Baden-Baden, Allemagne

éditeur :

Amphion – Durand

Intention :

Une longue et passionnante collaboration avec Pascal Gallois m’a conduit à écrire un nombre important d’oeuvres pour le basson (pièces solistes, pièces de musique de chambre). Les recherches que Pascal Gallois mène depuis plusieurs années concernent les possibilités jusqu’ici peu exploitées de son instrument (sons multiphoniques, trémolos, etc…), mais aussi le timbre et la couleur. Avec lui, le basson s’approche parfois de la voix humaine (et ma pièce Niggun, pour basson solo, utilise l’instrument dans ce registre, quasi vocal). Aussi évoquions-nous, depuis plusieurs années, l’ idée d’unir le basson à un petit effectif choral. Le Festival Musique en Chinonais et l’Ensemble Mikrokosmos nous offrent aujourd’hui l’occasion de réaliser ce projet.

 

« Le mouvement de l’Histoire, comme on dit, s’est désormais accéléré à un tel point qu’on ne peut plus repérer en musique ni révolutions ni même successions de modes. Non seulement, depuis que toutes les limites ont été transgressées (celles de la tonalité, du tempérament, du bruit, de l’oeuvre etc.), l’histoire musicale ne suit plus aucune ligne, mais même le mouvement brownien des tendances, des modes, des traditions, échappe à toute perception. Le tourbillon s’immobilise donc à force de vitesse. L’entreprise « naturaliste » à laquelle se rattache Naluan propose ainsi le déchiffrement du réel sonore comme une tâche libératrice et inépuisable, après le véritable « degré zéro » que marque cette sorte de fin de l’Histoire musicale qui est intervenue entre 1960 et 1970.

Bien que l’écoute du réel soit elle-même une attitude historique, illustrée par Monteverdi, Beethoven, Debussy, Messiaen, le fait nouveau que représente la disponibilité de ce réel sous forme d’enregistrement lui donne une tout autre portée. Il ne s’agit plus de transposer musicalement les bruits, il s’agit de révéler la musique déjà présente, toujours-déjà-là, comme disent les philosophes, dans le monde où nous vivons. Le compositeur se contente de la découvrir, et sa part d’invention peut se réduire aux moyens techniques les plus propres à souligner cette évidence musicale. Ultérieurement, la musique latente dans les sons « naturels » sera perceptible à chacun. Chacun sera poète et musicien, et il n’y aura plus besoin de compositeurs.

Après avoir longtemps imité différents modèles sonores par des méthodes de transposition ou de transcription (par exemple des textes parlés sous forme de « phonèmes » instrumentaux dans Safous Mélè, 1959, La peau du silence, 1962, Le son d’une voix, 1964), j’ai inauguré une démarche à la fois complémentaire et opposée en 1969 avec Rituel d’oubli, en mêlant le modèle lui-même et son imitation instrumentale.

Depuis 1971, avec Korwar, Temes Nevinbür et Rambaramb, trois oeuvres pour instruments et une même bande magnétique traitée comme une sorte de Cantus firmus, j’ai poursuivi cette pratique comparable à celle des peuples océaniens auxquels les titres sont empruntés (on appelle ainsi les crânes humains qui, une fois enduits d’argile et peints, sont à la fois sculptures et objets naturels).

 

Dans Naluan (mot originaire de Malekula aux Nouvelles-Hébrides), je réalise de façon analogue un fidèle placage instrumental visant à confondre les catégories conventionnelles du brut et du musical. Les oiseaux, les insectes et les amphibiens que j’ai enregistrés, transcrits, et orchestrés, sont intégrés dans un tout sans subir eux-mêmes d’autre métamorphose que celle opérée par l’enregistrement ; et j’ai fait celui-ci de façon à les situer dans un espace partiellement abstrait, et aussi éloigné de l’impressionnisme traditionnel que du symbolisme de Messiaen.

 

Dans d’autres oeuvres je peux sans doute me contenter d’enregistrements bruts, ce que j’avais appelé en 1960 des phonographies, mais ici la présence des instrumentistes a un double sens : d’abord affirmer l’identité profonde des musiques humaine et animales, car la musique, – c’est-à-dire la rencontre entre une pensée et des sons -, semble répondre finalement à une fonction biologique commune à l’homme et à plusieurs espèces animales ; et d’autre part prolonger avec de nouveaux moyens le geste primitif qui créa l’homme, lorsqu’il détermina sa relation au monde en soulignant le contour du rocher pour y déchiffrer son rêve, et lorsqu’il apposa sa main pour fixer ce rêve.

 

Naluan est une oeuvre de 19 minutes pour bande magnétique et un ensemble de chambre comprenant huit instrumentistes. Elle est dédiée à l’Ensemble XXème siècle, qui en a fait la création à Baden-Baden le 28 février 1974. »

 

François-Bernard Mâche

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