De 1962 à 1970 une grande partie de mon activité créatrice a été axée sur la composition d’un cycle étendu d’œuvres vocales basées sur la poésie de Federico García Lorca. Le cycle comprend Night Music I (1963) pour soprano, clavier et percussions, Quatre livres de Madrigaux (1965-1969) pour soprano et une combinaison variable d’instruments; Songs, Drones and Refrains of Death (1968) pour baryton, guitare amplifiée, piano et clavecin amplifiés, contrebasse amplifiée et percussions; Nuit des Quatre Lunes (1969) pour alto, banjo, flûte alto, violoncelle amplifié et les percussions, et Ancient Voices of Children (1970) pour soprano et sept instrumentistes.
Parmi les huit œuvres qui constituent ce cycle, Songs, Drones and Refrains of Death est la plus poussée du point de vue de la conception, et la plus intensément dramatique de par les images sombres véhiculées par les poèmes de Lorca. Bien que les premières esquisses datent de 1962, c’est seulement en 1968 que j’ai senti avoir donné une forme définitive à mes idées musicales. Songs, Drones and Refrains of Death a été commandée par l’Université de l’Iowa, la création ayant eu lieu au printemps 1969.
Les principaux éléments formels sont annoncés dans le nom de l’œuvre. Ils sont issus de quatre des plus beaux poèmes noirs de Lorca : La Guitarra, Casida de las Palomas Oscuras, Canción de Jinete – 1860, et Casida del Herido por el Agua. Chacun de ces poèmes est précédé par un « Refrain » instrumental (contenant parfois des éléments vocaux émis par les instrumentistes, dans la plupart des cas des sons purement phonétiques) qui présente, sous diverses formes, le motif rythmique fatidique entendu au début de l’ouvrage. Enfin, trois longs « Death-Drones » (bourdons funèbres) joués par la contrebasse sur un intervalle de quarte, dominent la texture musicale dans les premier et dernier « Songs » (chants), ainsi que dans le troisième « Refrain ».
La poésie de García Lorca, dont l’expression est formidablement riche et évocatrice, offre un support fascinant à la création musicale. La Guitarra, poème clairement fataliste, dépeint une atmosphère de désolation, qui laisse néanmoins transparaitre un sentiment d’émerveillement et de profond mystère. Les premières lignes du poème – « La complainte de la guitare commence, Les coupes de vin de l’aube sont brisées, La complainte de la guitare commence, Il est inutile de la faire taire, Il est impossible de la faire taire… » – contiennent l’une des images les plus récurrentes de la poésie de Lorca : la guitare , incarnant la voix des ténèbres primitives du monde et du mal (dans un autre poème, Malagueña : « Des chevaux noirs et des gens sinistres passent par les chemins profonds de la guitare »). Mon interprétation musicale de ce poème comprend des cadences composées dans un style quasi-flamenco, qui jouées à la guitare électrique amplifient encore son caractère surréaliste.