Pendant que je lisais le “Voyage au centre de la Terre” de Jules Verne où Axel raconte un voyage intra-terrestre accompagné de son oncle Proffesseur Lidenrock et un guide islandais, Hans, j’ai été particulièrement frappée par les chapitres 26-30 : dans ces chapitres, Axel se rend compte qu’il n’est plus en compagnie des autres. En se retrouvant seul dans une caverne au plus profond de la terre, sa lutte intérieure commence. Ce qui devient la base de l’ œuvre Un Silence Extraordinaire est cette lutte et cette échange rapide d’état mental, émotionnel et spirituel, jusqu’au moment où Axel entend son nom appelé par son oncle, et puis quand les trois se rejoignent et inopinément découvrent une mer.
Lorsque Axel se retrouve seul et perdu, il se demande s’il vaut mieux monter ou descendre pour s’échapper. (Monter ou descendre?) Au début, il est sûr qu’il doit monter, grimper (Monter évidemment ! Monter toujours !). Il se trouve entre la peur et la décision, entre la logique et l’émotion, entre la confiance et la méfiance, l’agonie, la solitude, la confusion. Il se trouve dans un silence extraordinaire. Il prie. Puis l’espoir que la lumière n’abandonne jamais ses propres droits lui réchauffe le cœur. (Mais la lumière n’ abandonne jamais entièrement ses droits). C’est alors qu’il entend son nom. C’est son oncle et ils se retrouvent. « Axel, Axel, mon enfant ! Il l’encourage à descendre (Descendre, et voici pourquoi), puis à se relever et à refaire sa route (Relève-toi donc et reprends ta route).
Le lendemain , tout ce qui se passait était comme un rêve. Or, la mer qu’ils découvraient était réelle.
La similitude avec l’histoire d’ Absalom qui s’est révolté contre son père, le Roi, Prophète et Psalmiste David, est frappante (Axel se signifie Absalom dans la version danoise) : le cri connu de David “Mon fils, mon fils Absalom” quand il reçut le corps mort d’Absalom, révele la peine et l’amour immense pour son enfant, même s’il a été pourchassé par lui. Dans le livre de Jules Verne, le professeur Lidenrock et Axel créent un paradigme similaire: Axel perd son guide (le ruisseau), il s’oublie soi-même et les autres, et se perd dans le labyrinthe. En perdant tout espoir, il prie , comme David pria Dieu, attristé par son fils qui est devenu son ennemi. C’est à ce moment où il retrouve l’espoir. Quelqu’un l’appelle par son nom, quelqu’un l’appelle “mon enfant” et il accepte son retour. Encore plus étonnant, c’est que Absalom se signifie en hébreu “Père de la Paix”. Donc qui appelle qui réellement? Le texte grecque est tiré par le Troisième Psaume de David dans lequel il implore Dieu de se lever pour le sauver. Il est fort probable que Jules Verne, ayant écrit ces chapitres magnifiques, connaissait bien ce Psaume.
Un Silence Extraordinaire se déroule à une manière rhapsodique et quasi-opératique :
FIL – TOUT.E SEUL.E – DOUTE – PEUR OU REALISATION – RAPPEL – ENGOURDISSEMENT – LUTTE – LA PRIÈRE – DOUTE – CONFIANCE – LA RÉPONSE – EN SORTANT – BRILLANT
Les voix des jeunes du chœur peuvent apporter dans la musique cette énergie variable, être le narrateur (Axel) mais aussi crier le dynamique et humble “Pardonne-moi”, une phrase dont on ne sait pas clairement si elle est dite par Axel ou son oncle, David ou Absalom. La coexistence des éléments et des couleurs antiques et contemporaines en même temps, est réglée presque naturellement par l’ensemble instrumentale (saxophone, cimbalom, harpe, accordéon et violoncelle) et de sa palette sonique et poétique. Dans la pièce, les épisodes inter-connectés sont caractérisés par des séquences de gestes et de chant souvent avec des éléments prosodiques, par l’orchestration minutieuse et les fluctuations de tempo, qui font émerger la physicalité de la musique dans des contextes rythmiques et aussi lyriques. La structure est soutenue par un sentiment de tremblement continu, avec des éclats sporadiques, un tremblement qui est amené à un tollé et aux harmonies lumineuses vers la fin.
Un Silence Extraordinaire a été composée à Paphos, Chypre entre décembre 2022 et avril 2023 et elle est dédiée aux victimes de la collision de trains à Tempi, Grèce, le 28 février 2023.